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Au Haut-Karabakh, la menace d’une crise humanitaire sans précédent

Depuis le 12 décembre, le corridor de Latchine, l'unique route qui relie cette république autoproclamée à l'Arménie, est bloquée par des manifestants azerbaïdjanais. Ses 120 000 habitants arméniens se retrouvent coincés dans une précarité grandissante. De notre correspondante en Arménie.

Des manifestants arméniens protestent contre le blocage par des militants azerbaïdjanais de l'unique route reliant le Haut-Karabakh à l'Arménie, près de Stepanakert, capitale de la République autoproclamée du Haut-Karabakh, le 27 décembre 2022. [Ani Balayan | AFP]

"Depuis deux ans, nous sommes habitués aux coupures d’électricité, de gaz, d’eau. Mais avec ce blocus et la crainte d’être au bord de la famine, la vie est perturbée comme jamais auparavant", raconte Yana, 21 ans. Pour cette jeune enseignante à la voix frêle coincée à Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh, les épreuves s’enchaînent.


Cela fait quarante jours que des militants azerbaïdjanais bloquent le corridor de Latchine. Cette route montagneuse de 32 kilomètres sépare l'Arménie du Haut-Karabakh, République autoproclaméedurant l’éclatement de l'URSS, peuplée majoritairement d’Arméniens. Ces Azerbaïdjanais manifestent jour et nuit, munis de leurs drapeaux et de quelques pancartes, contre l’exploitation de ressources naturelles dans la région. L'Arménie accuse l'Azerbaïdjan d'être derrière ces protestations pour bloquer la route et entraîner une crise humanitaire pour les 120 000 personnes habitant de l’autre côté. Bakou rejette en bloc ces accusations.


Un risque de famine

Quelque 15 000 tonnes de nourriture et de médicaments n’ont pu rejoindre l’enclave depuis plus d’un mois. "Les gens repensent au sombre passé, avec une vision cauchemardesque de l’avenir", raconte Yana. La connexion Internet est de plus en plus faible, l’électricité est partiellement coupée. "On se sent isolés, comme bloqués dans un désert dont personne n'a jamais entendu parler."


Une cellule de crise a été mise en place par le Premier ministre (de facto) du Haut-Karabakh (Artsakh pour les Arméniens), Ruben Vardanyan. Désormais, les coupures durent quatre heures par jour, divisées par secteurs. La plupart des écoles ont fermé. Depuis le début de la crise, les entreprises ne peuvent plus fonctionner normalement. Plus de 700 ont fermé leurs portes, 3 400 personnes ont perdu leur emploi.


Quant au gaz, c’est une question de survie dans une région où les températures peuvent atteindre -10 degrés. Le seul gazoduc d'approvisionnement passe sous un district contrôlé par l’Azerbaïdjan, qu’Erevan accuse de coupes. Les coupures intermittentes de gaz sont depuis longtemps au cœur des tensions entre les deux pays. Alors l’approvisionnement se fait avec les ressources intérieures, très limitées. Pour le défenseur des droits (de facto) du Haut-Karabakh, la situation n’est pas surprenante. "Il était évident que l’Azerbaïdjan allait utiliser ce levier pour intimider le peuple, tout particulièrement en hiver, explique Gegham Stepanyan. Et il n’y a pas de raison qu’ils ne poursuivent pas cette méthode sur nos infrastructures essentielles."


À Stepanakert, Nina, 22 ans, dénonce une stratégie de terreur psychologique : "C’est inhumain. Ils nous provoquent, pour pousser nos traîtres de dirigeants à leur céder davantage de terres en échange de l’ouverture de la route. Mais nous tenons le coup. La plupart de nos parents ont vécu la première guerre, la situation était bien pire. On aimerait simplement avoir des légumes. Pour l’instant, on ne mange que des pâtes, des produits à base de grains."


Dans les supermarchés, les étals sont vides. Mercredi 18 janvier, la population a reçu pour la première fois des coupons, un système mis en place par les autorités locales pour réguler la consommation des produits importés. Face aux pénuries, un système alternatif se met en place : "Dans les villages, on cherche à échanger des œufs et des pommes de terre contre du carburant. Et pour avoir des cigarettes, les hommes sont prêts à troquer n'importe quoi", raconte Yana. Les deux jeunes femmes décrivent une population anxieuse mais calme. "C’est parce que la famine n’est pas encore là", précise Nina.


Réactions internationales

L’aide la plus concrète se trouve dans les quelques camions acheminés par la Croix-Rouge. Zara Amatuni, responsable communication de la délégation arménienne du Comité international de la Croix-Rouge rapporte à France 24 qu’entre le 19 décembre et le 18 janvier, douze trajets ont permis d’hospitaliser en Arménie trente-six patients en état critique. "Nous sommes prêts à faciliter d'autres opérations humanitaires de ce type et d'autres types, dans notre rôle d'intermédiaire neutre."


Des voix hors d’Arménie s’élèvent. Amnesty International ou encore Human Rights Watch appellent à la libre circulation sur le corridor de Latchine. Dans un récent rapport, HRW rappelle le risque de "conséquences humanitaires désastreuses" : "Plus la perturbation des biens et services essentiels est longue, plus le risque pour les civils est élevé." Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme lance le même appel, tandis que l’Institut Lemkin pour la prévention du génocide alerte régulièrement sur la menace de nettoyage ethniquequi plane sur le Haut-Karabakh.


Au Parlement européen, une résolution a été votée jeudi 19 janvier pour condamner le blocage de la route, appelant l’Azerbaïdjan "à la rouvrir immédiatement". La résolution insiste sur la nécessité que la zone soit accessible aux organisations internationales, ainsi qu’à "une mission d'enquête de l'ONU ou de l'OSCE". En outre, les députés blâment "l’inaction des forces russes présentes dans la région", tout en soulignant qu’elles devraient "être remplacées par des casques bleus internationaux de l’OSCE".


De son côté, l’Arménie accuse les militaires russes chargés de sécuriser la route de ne pas en avoir empêché le blocage, alors que Moscou est accaparé par son offensive en Ukraine. Un sentiment de rejet et d'amertume s’amplifie en Arménie contre son allié de toujours, notamment face à son inaction lors de la dernière offensive azerbaïdjanaise en territoire arménien.


Pour les Arméniens, les réactions internationales sont les bienvenues, même si certains déplorent qu’aucun projet de sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan ne soit envisagé. "Nos stocks sont vides. Pour éviter la catastrophe humanitaire, nous avons besoin de l’ONU", insiste Gegham Stepanyan. Ruben Vardanyan, quant à lui, dénonce, dans une interview accordée mercredi à France 24, une réaction ambivalente de la part de l’Union européenne. "L’Azerbaïdjan a récemment signé un important contrat gazier avec l’Union européenne. Les parties qui continuent de commercer avec l’Azerbaïdjan acceptent un régime autocratique qui tente de détruire un modèle démocratique : l’Artsakh", souligne-t-il.


L’Azerbaïdjan nie toujours que la route est bloquée, et la situation s’enlise. À l'automne dernier, l'esquisse fragile d’un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se dessinait. Les événements en cours rendent une telle issue irréaliste. La position de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh est claire, comme le déclarait le ministère des Affaires étrangères : "Le Karabakh fait partie intégrante de l'Azerbaïdjan. Les droits et la sécurité des résidents d'origine arménienne vivant dans cette région seront assurés conformément à la Constitution de la République d'Azerbaïdjan."


Une "sécurité" à laquelle les Arméniens ne croient pas du tout. À Stepanakert, Nina ne prend pas de telles déclarations au sérieux : "Quand on voit la façon dont ils nous traitent, comment pourrions-nous leur faire confiance et vouloir vivre avec eux ? Je suis certaine que jamais nous ne pourrions survivre."

 

(c) 2023, France 24

https://www.france24.com/fr/europe/20230120-au-haut-karabakh-la-menace-d-une-crise-humanitaire-sans-précédent

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