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Janie Gosselin

Des marchés « vides » et des habitants dans l’angoisse


Des manifestantes font face à des soldats de maintien de la paix russes bloquant la route menant à Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh, le 24 décembre dernier. [Davit Ghahramanyan | Agence France-Presse]

Depuis le 12 décembre, l’unique route reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie est bloquée. Les étalages des commerces sont vides et les pannes d’électricité sont fréquentes, a témoigné à La Presse une Montréalaise d’origine qui vit dans cette région disputée.

« C’est comme si l’Azerbaïdjan avait coupé le contact [du Haut-Karabakh] avec le monde entier », soupire Huri Zohrabyan, transcriptrice de 26 ans, jointe par visioconférence à Stepanakert.

Huri Zohrabyan vit à Stepanakert avec son mari depuis un peu plus d’un an. [Fournie Par Huri Zohrabyan]

Des manifestants azerbaïdjanais paralysent le corridor de Latchine, la zone tampon de 32 km reliant l’Arménie aux quelque 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh qui vivent dans le territoire disputé. Ses habitants ont proclamé unilatéralement leur indépendance de l’Azerbaïdjan en 1991, désignant le Haut-Karabakh « république d’Artsakh ». Le geste n’est pas reconnu par la communauté internationale, même si l’enclave continue de s’autogouverner.

Les Azerbaïdjanais responsables du blocus se présentent comme des opposants à une exploitation minière de la région. Une explication rejetée par le gouvernement arménien, qui y voit plutôt une action de l’Azerbaïdjan, un pays au régime autoritaire.

« C’est assez clair qu’il ne s’agit pas de manifestants écologistes qui sont tout à fait indépendants du pouvoir », estime Magdalena Dembinska, professeure titulaire à l’Université de Montréal, qui rappelle qu’un laissez-passer est nécessaire pour se rendre dans ce corridor. [Infographie la Presse]

Coincés

La fermeture de la route a entraîné des pénuries, mais empêche aussi des habitants de l’enclave de regagner leur domicile. Des enfants en voyage de groupe à Erevan sont ainsi logés depuis des semaines dans un hôtel de la ville arménienne de Goris, non loin de l’entrée du corridor de Latchine, selon Le Figaro. Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, a invité les Arméniens du Haut-Karabakh à quitter le territoire la semaine dernière, selon Le Monde, indiquant que la voie était ouverte dans cette direction.

Étagères vides dans un marché de Stepanakert, le 23 décembre dernier. [Davit Ghahramanyan | Agence France-Presse]

Mais les Arméniens du Haut-Karabakh craignent de céder du terrain à l’Azerbaïdjan, deux ans après une reprise du contrôle d’une portion du territoire par les forces azerbaïdjanaises. La guerre de 44 jours de l’automne 2020 avait permis aux forces azerbaïdjanaises de faire des gains dans une première offensive militaire majeure depuis le cessez-le-feu de 1994. Pendant plus de deux décennies, le conflit était resté latent, mais jamais résolu.

Le cessez-le-feu de 2020 a été conclu sous l’égide de la Russie. Sans pour autant apporter une résolution durable.

Un soldat arménien tire des coups d’artillerie sur la ligne de front, le 25 octobre 2020, dans la zone de conflit du Haut-Karabakh. [Aris Messinis | Agence France-Presse]

« Après la guerre de 2020, il y a toujours le sentiment d’inquiétude, on n’a pas de garantie de ce qui va se passer demain, après-demain, dans un mois », illustre Mme Zohrabyan, installée dans la région depuis plus d’un an, après son mariage avec un homme du Haut-Karabakh. « On n’est certains de rien.»


Rôle de la Russie

La Russie a envoyé des soldats de maintien de la paix lors du cessez-le-feu, notamment dans le corridor de Latchine, pour cinq ans. Les Arméniens accusent ces militaires de ne pas respecter l’accord en laissant la route bloquée.

Un soldat de maintien de la paix russe monte la garde dans le corridor de Latchine, le 27 décembre dernier. À l’arrière-plan : des manifestants azerbaïdjanais qui paralysent le corridor. [Tofik Babayev | Agence France-Presse]

La Russie est dans une position complexe avec les deux anciennes républiques soviétiques, la guerre en Ukraine ayant vraisemblablement ajouté un niveau de difficulté. D’un côté, un traité assure l’appui des troupes russes en cas d’attaque à l’intérieur des frontières arméniennes – ce qui exclut le Haut-Karabakh. Mais l’Azerbaïdjan n’est pas sans savoir que les forces de Moscou, avec qui il entretient des relations commerciales importantes, sont actuellement accaparées.

Manifestants azerbaïdjanais massés dans le corridor de Latchine, zone tampon reliant l’Arménie au Haut-Karabakh, le 26 décembre dernier. [Tofik Babayev | Agence France-Presse]

Et, dans le contexte des sanctions occidentales contre Moscou, le gouvernement russe pourrait vouloir s’attirer les bonnes grâces de la Turquie, grande alliée de l’Azerbaïdjan, avance Mme Dembinska. En favorisant peut-être, par exemple, la construction d’un corridor à Meghri, dans le sud de l’Arménie, pour relier les deux pays – un projet qui inquiète les Arméniens.


Marchés vides et aide humanitaire

Devant les pénuries à Stepanakert, des coupons de rationnement ont été distribués aux habitants cette semaine.

"Les marchés sont vides. Il n’y a pas de sucre, de farine, d’œufs, d’huile, de charcuteries, de fromage, de sucreries, de jus… C’est vraiment quelque chose". Huri Zohrabyan, habitante du Haut-Karabakh

La Croix-Rouge, comme organisation neutre, a réussi « plusieurs opérations à travers le corridor de Latchine » depuis le 19 décembre, a indiqué dans un courriel une porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge, Fatima Sator. Ces opérations ont permis le passage de 30 patients et l’acheminement à des établissements de santé de 10 tonnes de nourriture, de lait maternisé et de médicaments. Les besoins en nourriture pour les populations plus vulnérables devraient ainsi être couverts environ jusqu’au 6 février, a indiqué Mme Sator.

Des habitants du Haut-Karabakh manifestent dans les rues de Stepanakert pour réclamer l’ouverture du corridor de Latchine, le 24 décembre dernier. [Davit Ghahramanyan | Agence France-Presse]

Malgré les difficultés, Mme Zohrabyan n’envisage pas de quitter le Haut-Karabakh, désirant y assurer une présence arménienne, même si la situation la préoccupe grandement.

« Parfois, tu es sur une page de nouvelles, tu rafraîchis et rafraîchis, illustre-t-elle. C’est comme si ton cerveau fonctionnait seulement sur : qu’est-ce qui va arriver, quand est-ce qu’ils vont débloquer, quand est-ce que ça va finir, ce problème-là, qu’est-ce que ça va être, la solution ?

 

(c) 2023, La Presse

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