En Ethiopie, la région Amhara théâtre d’affrontements entre des milices et l’armée nationale
Le projet controversé du premier ministre, Abiy Ahmed, de démanteler les forces militaires régionales dans tout le pays est à l’origine de cette poussée de violence.
Des miliciens amhara près du village de Dabat, en Ethiopie, en septembre 2021. AMANUEL SILESHI / AFP
Un nouveau vent d’insurrection souffle sur l’Ethiopie. Alors que le pays sort tout juste de deux années de guerre civile dans la province du Tigré (2020-2022), il est confronté à un début de révolte aux symptômes identiques. Cette fois-ci, c’est la région voisine, l’Amhara (nord-ouest), qui se trouve au bord de l’implosion.
Mardi 11 avril, cette province de 25 millions d’habitants était sous haute tension, voire paralysée à certains endroits. Des heurts avaient lieu aux quatre coins de la province et la capitale, Bahir Dar, a été secouée par une explosion non revendiquée qui a fait deux morts. « La situation s’est considérablement détériorée […] amenant à des échanges de tirs, y compris à l’arme lourde », écrit l’ambassade américaine dans une note. Comme Bahir Dar, des grandes villes telles que Gondar et Dessié sont bloquées. Un couvre-feu est en place.
Des affrontements ont opposé les miliciens amhara – appelés Fanos – à l’armée nationale aux abords de la ville de Kobo, à 550 km au nord d’Addis-Abeba, et ont fait plusieurs morts parmi les miliciens. L’échange de feu a également tué deux travailleurs humanitaires de l’organisation Catholic Relief Service. Plusieurs sources décrivaient des tirs d’artillerie dans la zone ce week-end, mais les informations restaient parcellaires : les télécommunications sont fortement perturbées et la zone est inaccessible.
Manifestations et désertions
A l’origine de cette poussée de violence, le projet controversé du premier ministre, Abiy Ahmed, de démanteler les forces militaires régionales dans tout le pays. Ces forces, appelées « Liyu Hail », font office de police spéciale aux ordres de la région. Présentes dans les onze provinces depuis 2008, elles sont parfois mieux entraînées et mieux armées que l’armée de terre éthiopienne. En Amhara, on estime qu’elles sont fortes de plusieurs dizaines de milliers d’hommes. En les supprimant, le gouvernement veut « bâtir une armée forte et centralisée capable de protéger la souveraineté et l’unité du pays », comme il l’exprime dans un communiqué du 6 avril.
Ces derniers jours, nombre de soldats des Forces spéciales amhara ont rejoint les milices Fanos dans les campagnes
Cette décision fait un tollé en région Amhara, où les manifestations se succèdent. Ces derniers jours, nombre de soldats des Forces spéciales amhara ont rejeté la décision du premier ministre, désertant leurs baraquements pour rejoindre les Fanos dans les campagnes. Hone Mandefro, directeur de l’Amhara Association of America (AAA), parle de plusieurs milliers de transfuges. « Il y aura une insurrection si le gouvernement fédéral s’entête dans son projet de démantèlement », prévient-il. Plusieurs observateurs parlent plutôt d’une mutinerie limitée et non d’une révolte généralisée.
« La population amhara peut entrer en résistance si elle le souhaite, assure Hone Mandefro. Ce projet nous vise spécifiquement, nous Amhara, car nous sommes la seule région à être démobilisée », croit-il. En effet, la province voisine du Tigré aurait encore un réservoir de plus de 200 000 soldats en armes malgré les promesses de désarmement contenues dans l’accord de paix de Pretoria signé le 2 novembre 2022.
Les manifestants amhara craignent que la dissolution des forces régionales ne les rende plus vulnérables aux attaques des régions voisines, et en particulier du Tigré, contre qui les milices amhara ont combattu lors de la guerre civile. Elles avaient alors été accusées par le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, d’avoir procédé à un « nettoyage ethnique ».
Des conflits en région Oromia
Le soulèvement des nationalistes amhara est tout sauf une surprise compte tenu de l’escalade qui oppose la région aux autorités d’Addis-Abeba depuis plusieurs mois. Alliés lors de la guerre du Tigré, les Fanos et le gouvernement fédéral se livrent depuis à une guerre des mots.
« Abiy Ahmed a toujours été paranoïaque, il sait que les Amhara ont un pouvoir important quand ils sont unis, donc il se sent menacé », affirme Hone Mandefro. Ce n’est d’ailleurs pas le premier coup de filet mené par le gouvernement, qui avait arrêté plus de 9 000 miliciens Fanos en région Amhara en mai 2022.
Abiy Ahmed est d’origine oromo, la plus importante communauté du pays. Les multiples conflits en cours en région Oromia entre les Oromo et les minorités amhara attisent les tensions. Selon l’AAA, 1 566 Amhara y auraient été tués l’année dernière en raison de leur appartenance ethnique. Ces derniers accusent le premier ministre de passivité, voire de complicité dans ces crimes.
Pour Abiy Ahmed, redevenu fréquentable sur la scène internationale depuis la signature de l’accord de paix de Pretoria, les semaines à venir s’avèrent périlleuses. Partagé entre la volonté de poursuivre son entreprise de centralisation à marche forcée et le péril de voir la région Amhara lui échapper, il fait peser la menace d’une nouvelle insurrection civile sur les 115 millions d’Ethiopiens.
(c) 2023, Le Monde Afrique
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