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FOG – Arménie : le spectre du grand remplacement

Aliyev, président de l’Azerbaïdjan, a décidé, avec le concours d’Erdogan, le sultan turc, de mettre la main sur l’Arménie, tout cela dans l’indifférence générale.

Des soldats de l'Azerbaïdjan montent la garde à un checkpoint du corridor de Latchine, le 27 décembre 2022. [Le Point]

Les dictateurs osent tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. La fameuse formule de Michel Audiard sur les cons s'applique aussi aux tyrans qui nous enténèbrent. Alors que Poutine tente de procéder, avec l'insuccès que l'on sait, à ce qu'il appelle très sérieusement la « dénazification » de l'Ukraine, le satrape azéri Aliyev a décidé de rebaptiser l'Arménie… l'« Azerbaïdjan occidental ». Quant à sa capitale, dit-il, au mépris de l'Histoire, c'est une « ville azerbaïdjanaise ». On ne saurait être plus clair sur ses intentions.


Dans ce concours d'abjection, Poutine fait la course en tête, effet de masse oblige. Mais Aliyev mérite le détour. Après avoir hérité de son père d'un pays gorgé de gaz et de pétrole, l'Azerbaïdjan, ancienne république soviétique peuplée de 10 millions d'habitants, ce musulman a décidé, avec le concours d'Erdogan, le sultan turc, de mettre la main sur l'Arménie, territoire chrétien sans ressources d'à peu près 3 millions d'habitants et de presque autant - j'exagère à peine - d'églises ou de monastères divins, nichés dans ses montagnes.


Le grand remplacement : tel est bien l'objectif de maître Erdogan et de son valet Aliyev. Le panturquisme, idéologie ultranationaliste du XIXe siècle qu'ils partagent, entend rassembler les peuples turcophones (et musulmans) dans un même État. Quitte à « génocider » les autochtones, coupables d'avoir habité ces terres bien avant les invasions des Turcs originaires d'Asie centrale, qui aboutirent à la chute de Constantinople et de l'Empire romain d'Orient en 1453. D'où les massacres systématiques d'« indigènes » chrétiens : les Arméniens (1,5 million en 1915, notamment), les Assyriens ou Araméens (autour de 500 000 à la même époque), les Grecs pontiques (à peu près autant). Sans oublier les tueries de Kurdes qui ont commencé dans les années 1930 : musulmans sunnites contrairement aux autres, ils avaient eux aussi le défaut d'avoir été là avant.


La lâcheté de l'Occident dépasse l'entendement. Nous observons le manège du duo Erdogan-Aliyev avec l'indifférence des vaches qui, pour paraphraser Paul Claudel, regardent passer les trains où, dans le wagon-restaurant, les voyageurs mangent leur veau en paupiettes. Si les États-Unis sont affligeants, l'Union européenne est, elle, au-dessous de tout. Après le temps de la realpolitik, voici venue l'ère de la diplomatie couchée, gavée au gaz azéri et à genoux devant les menaces du sultan turc. Pour preuve, l'apraxie du Quai d'Orsay, ce mort-vivant, malgré les belles paroles de Macron, comme toujours jamais suivies d'effet. Comment pouvons-nous espérer être respecté dans ces conditions ?


Infamie : il n'y a pas d'autre mot pour désigner ce qui se passe en Artsakh (ou Haut-Karabakh) et qui rappelle les pires méthodes totalitaires : avec le soutien de la Turquie, l'Azerbaïdjan a décidé d'asphyxier cette enclave autonome arménienne en lui coupant la seule route d'accès. Un blocus qui, depuis le 12 décembre dernier, a pris au piège 120 000 personnes. L'aéroport a été fermé, et tout ce qui pourrait venir du monde extérieur leur est désormais interdit, l'alimentation comme les médicaments. De faux activistes écologistes empêchent toute circulation en faisant le signe des Frères musulmans, en dépit des accords de paix signés et devant une force d'interposition russe apathique.


Ce scénario de la mort lente est une préfiguration de ce qu'Erdogan et Aliyev préparent pour l'Arménie, ou ce qu'il en reste, après deux millénaires de gloire : une nation grande comme la Bretagne, sans accès à la mer et entourée d'ennemis. Pour relier leurs deux pays frères, ils rêvent de percer un axe routier et ferroviaire, qu'ils appellent le corridor de l'Araxe, le long la frontière de l'Arménie avec l'Iran, ce qui permettrait de couper la première de son seul poumon économique et commercial. Pourquoi tant de haine ?


La réponse est sortie de la bouche du pape Benoît XVI, mort samedi. Dans son discours de Ratisbonne, ce grand intellectuel, qui réconcilia l'Église avec la théorie darwinienne de l'évolution, évoquait le dialogue entre l'un des derniers empereurs chrétiens de Constantinople et un érudit persan musulman. Pour le premier, imposer la foi par la violence revient à « ne pas agir selon la raison », ce qui est « contraire à la nature de Dieu ». Pour le musulman, au contraire, Dieu est « absolument transcendant ». Il a tous les droits. Là réside encore, entre les deux religions, le mur qui ne manquera pas de sauter un jour. C'est ce qui explique, en plus du reste, la détestation des panturquistes pour l'Arménie, démocratie multipartite, constitutionnellement laïque mais très largement chrétienne. À sa seule évocation, ils ont des expressions d'inquisiteurs éructant, sous leurs petites moustaches carrées : Vade retro Satana !

 

(c) 2023, Le Point

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/franz-olivier-giesbert/fog-armenie-le-spectre-du-grand-remplacement-07-01-2023-2503991_70.php




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