Haut-Karabakh : «La haine contre les Arméniens a atteint son paroxysme dans mon pays»
Blogueur azerbaïdjanais réfugié en France, Mahammad Mirzali explique comment la haine des Arméniens est alimentée dans son pays par la propagande du gouvernement.
Dix jours après une offensive éclair de l'Azerbaïdjan, la population de l’enclave arménienne du Haut-Karabakh a presque entièrement déserté son territoire. Plus de 100.000 réfugiés ont fui en Arménie par crainte de représailles des soldats azéris. Les autorités de la petite république du Haut-Karabakh ont annoncé la dissolution des institutions le 1er janvier 2024.
Le blogueur azerbaïdjanais Mahammad Mirzali a été arrêté et torturé dans son pays pour avoir dénoncé la corruption de la classe politique. Réfugié en France depuis 2016, il a subi plusieurs tentatives d’assassinat sur le sol français, et vit sous protection policière.
LE FIGARO. - Le président Aliev a promis de respecter les droits des Arméniens du Haut-Karabakh. Malgré cela, la population a fui en masse. Devrait-elle faire confiance à la parole du chef d'État ?
MAHAMMAD MIRZALI. - Les Arméniens ne sont pas fous. Ils ont vu, comme vous et moi, sur les réseaux sociaux, des vidéos où l’on aperçoit des soldats azéris un couteau à la main, disant être pressés de couper des têtes. Aliev parle de protéger les droits des Arméniens du Haut-Karabakh et en même temps, il les force à s'exiler de leurs maisons. S'il était vraiment le bon président qu'il prétend être, comment accepterait-il l’exode de sa population ? Tout cela n'est que mensonges.
Vous suivez de près les réseaux sociaux de votre pays. Comment la victoire éclair dans le Haut-Karabakh a-t-elle été accueillie en Azerbaïdjan ?
La victoire dans le Haut-Karabakh est unanimement célébrée en Azerbaïdjan. Les chaînes de télévision publiques se félicitent à l'idée qu'enfin, les Azerbaïdjanais qui ont fui lors de la première guerre du Haut-Karabakh (de 1988 à 1994, NDLR) retournent chez eux à Khankendi (nom azéri donné à Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh).
Sur les chaînes Telegram (souvent gérées par l’État via ses fermes à troll), les participants à la guerre se vantent sans vergogne de couper des têtes, de pratiquer des châtiments corporels aux soldats ou aux civils arméniens. Déjà en 2020, de nombreux soldats azéris étaient revenus de la guerre avec un doigt, ou plus souvent une oreille d’Arménien, pour le ramener chez eux comme un trophée. Demandez aux Arméniens qui ont récupéré le corps de leurs soldats : beaucoup vont vous dire qu’il manque une oreille. Quand ce n’est pas la tête entière... Et on peut voir ces images partout, y compris sur des médias gouvernementaux !
Parfois, ces atrocités se font au nom de l’Islam. Par exemple, on voit dans certaines vidéos des soldats azerbaïdjanais décapiter des civils ou des soldats arméniens au cri de «Allahu Akbar». Ce sont les mêmes techniques que Daesh en Irak ou en Syrie. D’ailleurs, en 2020, les Turcs avaient fait appel à des mercenaires de Syrie pour combattre les Arméniens. Il y a plus d'une preuve de cela.
Que pensez-vous des intellectuels comme l’historien Vincent Duclert, qui voit dans ces événements la continuité du génocide arménien ?
C’est malheureusement vrai. La haine contre les Arméniens a atteint son paroxysme ces dernières années dans mon pays. Malgré tous les problèmes internes de pauvreté, de chômage, le président Aliev ne parle que des Arméniens. Regardez sa chaîne YouTube, c’est l’unique sujet ! Et il inculque cette haine jusque chez les plus jeunes. Dans les dessins animés à la télé, les méchants sont toujours des soldats arméniens. À l'école, dans les livres scolaires, l’Arménie est appelée l'«Azerbaïdjan occidental» et les Arméniens sont mentionnés comme des chiens, des barbares qui coupent les têtes des Azerbaïdjanais.
Tous mes concitoyens exilés dans les pays européens et qui critiquent Aliev sont accusés d’être payés par les Arméniens. Moi-même, depuis que j’ai quitté le pays en 2016, je continue d’être présenté dans les médias affiliés à l’État comme un blogueur acheté par l’Arménie. J'aimerais bien être payé, moi... (rires). Début septembre, ils ont même accusé d’être à la solde du président Macron ! Ils n'aiment pas les Français non plus, car ils les voient comme les défenseurs des Arméniens.
Y a-t-il eu une recrudescence du discours de haine anti-Arméniens ces dernières semaines, avant l’attaque du Haut-Karabakh ?
On a surtout vu la répression se durcir. La semaine précédant l’attaque, plusieurs journalistes et activistes azerbaïdjanais ont été arrêtés et emprisonnés pour s’être exprimés contre la guerre. Mon ami journaliste Nurlan Kahramanov a été arrêté le 21 septembre et le tribunal l’a condamné à 30 jours de détention. Son avocat a déclaré à la presse qu’il avait été torturé avant son arrestation. Le gouvernement azerbaïdjanais oblige tout le monde à être en faveur de la guerre. Sinon, c’est l’arrestation et la prison. En même temps, tous les journaux et radios du pays célèbrent Aliev comme un héros invincible. Huit jours après la victoire dans le Haut-Karabakh, les kiosques des librairies sont déjà remplis d’un livre célébrant la victoire, avec la photo du président en couverture ! Et Aliev multiplie les déclarations sur Zanghezour (le corridor au sud de l’Arménie, le long de la frontière avec l’Iran, ndlr). Il se pourrait que ce soit son prochain objectif.
(c) 2023, Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/international/haut-karabakh-la-haine-contre-les-armeniens-a-atteint-son-paroxysme-dans-mon-pays-20231001
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