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Elisabeth Pierson, Figaro Vox

Haut-Karabakh : six mois de blocus et des espoirs qui s'envolent pour les Arméniens oubliés

Le président d'Azerbaïdjan a encore menacé mardi d'attaquer l'enclave, isolée par un blocus depuis mi-décembre. Sous pression, l'Arménie a ouvert la porte à une concession sur le statut de la région autonome pour obtenir la paix.

Le corridor de Latchine bloqué depuis le 12 décembre 2023. [Davit Ghahramanyan | AFP]

«Vous devriez jeter vos fausses lois à la poubelle et abandonner vos rêves (...) Vous devez nous suivre et continuer votre vie de citoyen dans le cadre de nos lois. On tient seulement pour le moment ! À tout instant nous pouvons lancer une opération militaire. Tout le monde le sait.» Les propos du président azerbaïdjanais Ilham Aliev ce 27 mai, prononcés lors d’un déplacement à Latchine, ne laissent aucune ambiguïté. Le chef d’État célébrait l'installation de familles azéries dans cette cité de la région du Haut-Karabakh, enclave peuplée majoritairement d'Arméniens, et qui fut, par décision de Staline, rattachée à l'Azerbaïdjan en 1921.


Depuis que le Haut-Karabakh proclama unilatéralement son indépendance après l'effondrement de l'URSS, son statut ne fut jamais reconnu par la communauté internationale. Sans se positionner formellement, les autorités arméniennes sont restées, depuis lors, les protecteurs de facto du Karabagh.


En 2020, l'Azerbaïdjan, au terme de 44 jours d'une guerre meurtrière, a repris le contrôle de 70% de l'enclave. Le 12 décembre dernier, Bakou a franchi un nouveau pas en installant un blocus sur la seule route reliant l'enclave à l'Arménie voisine. Le corridor qu'empruntaient régulièrement les 120.000 Arméniens d'Artsakh, et où passaient jusqu'alors nourriture et médicaments, ne laisse plus passer désormais que les convois de la Croix-Rouge pour le transfert, au compte-goutte, des malades urgents.


Tickets de rationnement et coupures d'électricité

«On est encore vivant. On essaye de tenir», soupire Vadim, résident à Stepanakert. Voilà longtemps qu'il n'a plus d'essence ni de gaz. Devant les magasins, les queues s'allongent. Pour tenir malgré les carences, notamment en produits frais, les autorités d’Artsakh ont établi un système de rationnement. Sucre, riz, pâtes, fruits et légumes, ou encore les œufs sont accessibles selon un calendrier précis. Certains prix ont explosé. «On pouvait trouver des fraises à partir de 900 drams avant (2,20 euros), elles sont désormais à 5000-8000 (12-19 euros) !», explique Vadim.


L'électricité manque aussi. La seule ligne d'approvisionnement qui provenait d’Arménie, et passait par le territoire azéri, a été sabotée. Les autorités ont instauré des coupures journalières pour économiser l'énergie. Depuis le 26 mai, elles sont passées de 3 à 6 heures par jour. «Dans ma ville aujourd'hui, l’électricité est coupée de 7h à 9h du matin, de 13h à 15h, puis 19h à 21h. Exactement les heures des repas. Ma voisine a six enfants, je vous laisse imaginer les complications», raconte Siranush, 39 ans. L'hôpital aussi est concerné par les pannes. Les générateurs suffisent juste à alimenter les services d'urgence et de réanimation.


La vie en Artsakh est devenue sombre. «Quand le soir vient, les rues ressemblent à un bal de fantômes : ce sont les gens qui se promènent dans une ville toute noire. Quand vous leur demandez, les gens vont vous répondre : si c’est seulement manquer de lumière et d’un peu de nourriture, ça ira. Mais personne ne sait ce qu’il va nous arriver demain». La voix de Siranush s'étrangle au téléphone. «Nous sommes très inquiets. Pour nous, mais aussi pour nos enfants...».


«La France est l'exception»

Sur la scène internationale, le silence est lourd. À Washington, puis à Bruxelles avec Charles Michel, et enfin ce jeudi à Chisinau, les Occidentaux tentent les uns après les autres une médiation entre le président azéri Aliev et le premier ministre arménien, Nikol Pashinyan. «Les Occidentaux mettent la pression sur l'Arménie pour céder le Haut-Karabakh. Pour eux, c'est la seule manière d'avancer», confie une source diplomatique d'Artsakh. «La France est l'exception. Je dirais même, le président français est l'exception. Mais quand les Occidentaux vont sous une même bannière européenne, la France est contrainte de revoir sa position. Elle ne peut se permettre de se retrouver hors-jeu».


Si les habitants de l’Artsakh sont habitués aux menaces virulentes du président azerbaïdjanais, plus surprenants ont été les propos glissés par le premier ministre arménien lors d'une conférence de presse le 22 mai. Nikol Pashinian, s'est déclaré prêt à reconnaître la souveraineté de l'Azerbaïdjan sur l'enclave en vue d'un accord bilatéral de paix. «L'Arménie est prête à reconnaître l'intégrité territoriale de 86.600 km de l'Azerbaïdjan», a déclaré le dirigeant, précisant ensuite que «les 86.600 km incluent aussi le Haut-Karabakh».


Venant du pays protecteur qui a toujours condamné le risque imminent d'un «nettoyage ethnique» par Bakou dans le Haut-Karabakh, ces mots ont résonné comme une trahison en Artsakh. Dans un communiqué lapidaire, les autorités ont exprimé leur «sentiment d'indignation et de colère». Concession d'un dirigeant acculé, abandonné par ses alliés ? Plusieurs fois ces derniers mois, l'Azerbaïdjan a déclenché des salves de tirs sur le territoire même de l'Arménie. Aucune réaction internationale n'a suivi. Délaissé par la Russie, confronté au silence des Occidentaux, Erevan est plus isolé que jamais.


Seuls au monde

«Ce qu'on demande à l'Arménie est un choix impossible. Que feriez-vous si l'on vous demandait de choisir entre vos deux enfants ?», interroge une autre source arménienne. «L'erreur est de croire qu'Aliev s'arrêtera là. Il n'a pas respecté la déclaration tripartite du 9 novembre 2020, il n'a pas respecté les ordonnances de la Cour internationale de justice exigeant la réouverture du corridor de Latchine. Aucun accord de paix ne le satisfera. C'est la guerre qu'il veut».


En France, la diaspora arménienne se mobilise. Dimanche, la CCAF, qui coordonne les organisations Arméniennes de France, a appelé à manifester à Paris, depuis le Trocadéro jusqu’à l’ambassade d’Azerbaïdjan.


«Merci de vous intéresser à nous», a glissé Siranush, habitante de Stepanakert, à la fin de l'échange. «On a l’impression d’être oubliés. Chaque matin je me réveille et je me pose la même question : qu’est-ce qu’il va advenir de nous, de notre futur ? J'ai tout le temps cette angoisse. Où sont les Nations unies ? L'Union européenne ? Les organisations internationales ? Ils savent qui est Aliev, mais ils continuent à parler d'une intégration possible… Accepter de nous livrer à l'Azerbaïdjan, c'est mettre un agneau dans la bouche du loup et dire, allez-y, amusez-vous bien».

 

(c) 2023, Figaro Vox

https://www.lefigaro.fr/international/haut-karabakh-six-mois-de-blocus-et-des-espoirs-qui-s-envolent-pour-les-armeniens-oublies-20230601


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