Haut-Karabakh:
Victoire militaire éclair de l’Azerbaïdjan, l’Arménie dénonce un « crime contre l’humanité » à l’ONU
Bakou, soutenue par la Turquie et armée par Israël, qui continue à vendre son gaz à l’Union européenne, a lancé une offensive qui s’est conclue en 24 heures par une victoire militaire éclair. Un cessez-le-feu a été conclu mais il ne serait pas respecté, selon les responsables de l’Artsakh qui ont entamé des pourparlers avec l’Azerbaïdjan. Au même moment, l’ambassadeur de l’Arménie a dénoncé auprès de l’ONU un « crime contre l’humanité ».
L’Azerbaïdjan a lancé, mardi, une action militaire – présentée comme nécessaire, dans la région du Haut-Karabakh, pour rétablir l’ordre constitutionnel et chasser ce que Bakou qualifie de « formations militaires arméniennes ». Une opération qui s’est soldée par une victoire militaire éclair dans cette partie du Karabakh revendiquée par une population arménienne, historiquement installée sur ces terres, et qui a fondé la république autoproclamée de l’Artsakh. Celle-ci a déjà été au centre de deux guerres – la dernière, en 2020 – depuis la chute de l’Union soviétique en 1991. Vaincues en 24 heures, les forces de la république autoproclamée de l’Artsakh ont annoncé dans un communiqué la signature d’ « un accord sur une cessation complète des hostilités à 13 h 00 (09 h 00 GMT) avec la médiation du commandement des forces de paix russes ». L’Azerbaïdjan a confirmé le cessez-le-feu et stipuler que l’accord prévoit – selon les termes employés par Bakou – « le retrait des unités et des militaires restants des forces armées de l’Arménie » et « la dissolution et le désarmement complet des formations de l’Armée de défense du Nagorny-Karabakh ».
200 morts, 400 blessés et plus de 10 000 évacués
Depuis mardi, les réseaux sociaux se faisaient l’écho de bombardements sur Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh. Selon nos informations, l’armée azerbaïdjanaise aurait utilisé des missiles sol-sol Lora et des drones Harop, des armes israéliennes. L’ombudsman (défenseur) des droits de l’homme, Gégham Stepanyan, a déclaré que la population civile avait subi « de nombreuses pertes » à la suite de frappes de l’armée azerbaïdjanaise. Les responsables de l’Artsakh ont fait état de 200 morts, dont au moins dix civils parmi lesquels cinq enfants, et 400 blessés. Ils ont également annoncé, mercredi soir, que plus de 10 000 personnes, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, ont d’ores et déjà été évacuées de l’enclave. « L’horreur nous frappe à nouveau. Et je pense que ça va être pire qu’en 2020 », expliquait, au début de l’offensive, Isabelle, qui vit à Stepanakert avec son époux et ses enfants, contactée par l’Humanité, avant que les communications ne soient coupées.
Une région soumise à un blocus depuis de longs mois
Dans une déclaration annonçant son opération, le ministère de la Défense de l’Azerbaïdjan a parlé de son intention de « désarmer et d’assurer le retrait des formations militaires arméniennes de nos territoires, (et de) neutraliser leurs infrastructures militaires ». Il a déclaré qu’il ne visait que des cibles militaires légitimes, utilisant des « armes de haute précision », et non des civils, dans le cadre de ce qu’il a appelé une campagne pour « restaurer l’ordre constitutionnel de la République d’Azerbaïdjan ». « L’Azerbaïdjan a rétabli sa souveraineté grâce à des mesures anti-terroristes réussies », a renchéri président Ilham Aliev, mercredi soir, à l’issue de l’offensive.
Depuis de longs mois, la région était soumise à un blocus inhumain de la part de Bakou. Un blocus qui s’est traduit par des pénuries alimentaires. Depuis juillet, il faut parfois attendre plus de cinq heures pour acheter un morceau de pain. L’Azerbaïdjan a fermé la frontière. Or, c’est le seul accès au corridor de Latchine, unique lien avec l’Arménie, par lequel passent 90 % des aliments consommés dans le Haut-Karabakh.
L’escalade s’est produite un jour après que la nourriture et les médicaments, dont ont cruellement besoin les populations, ont été finalement livrés. Une étape qui semblait pouvoir aider à désamorcer les tensions croissantes entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
L’Arménie a demandé l’intervention des casques bleus russes sur le terrain
Pour les Arméniens du Haut-Karabakh, la situation est d’autant plus compliquée que l’Arménie ne reconnaît pas la république de l’Artsakh et que les relations entre le gouvernement d’Erevan et celui de Moscou ne sont pas au beau fixe. Le cessez-le-feu élaboré sous l’égide de la Russie, à l’issue de la guerre de 2020, n’est guère respecté par les Azéris, qui, pourtant, ont pris des pans entiers de ce territoire.
Le gouvernement arménien a tenu une réunion du Conseil de sécurité pour discuter de la situation. À Erevan, les habitants se sont rassemblés dans la capitale pour demander aux autorités d’agir. Ils reprochent aussi à la Russie de ne pas les aider à sécuriser l’accès au Haut-Karabakh. L’Arménie avait annoncé, le 6 septembre, accueillir, la semaine prochaine, des exercices militaires communs avec les États-Unis, impliquant leurs forces de maintien de la paix. Elle a aussi appelé les membres du Conseil de sécurité de l’ONU à l’aide et demandé l’intervention des casques bleus russes sur le terrain. Des milliers de manifestants se sont de nouveau rassemblés mercredi soir et des heurts ont éclaté avec la police. Nikol Pachinian, le premier ministre, « doit partir, il ne peut pas diriger le pays », a déclaré l’un d’eux à l’AFP, Sarguis Hayats, un musicien de vingt ans.
Avant la conclusion de l’offensive de l’Azerbaïdjan, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait exhorté « dans les termes les plus forts, à un arrêt immédiat des combats, à la désescalade et au respect plus strict du cessez-le-feu de 2020 et des principes du droit international humanitaire », selon un communiqué publié mardi soir par son porte-parole Stéphane Dujarric. La Russie a également appelé mercredi 20 septembre au matin à « cesser immédiatement l’effusion de sang, à mettre un terme aux hostilités et à arrêter les pertes civiles », dans un communiqué de son ministère des Affaires étrangères. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a lui aussi appelé Bakou « à cesser immédiatement » son offensive. « Ces actions aggravent une situation humanitaire déjà difficile au Haut-Karabakh et sapent les perspectives de paix », a-t-il affirmé dans un communiqué. Le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan Le président turc, Recep Tayyip Erdogan a dit « soutenir » mardi le lancement par l’Azerbaïdjan d’une opération militaire au Haut-Karabakh. « Nous soutenons les mesures prises par l’Azerbaïdjan (…) pour défendre son intégrité territoriale », a affirmé le président sur X (ex-Twitter). Dans un communiqué, la France a condamné « avec la plus grande fermeté le lancement par l’Azerbaïdjan d’une opération militaire au Haut-Karabakh ». Pour le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, « l’Azerbaïdjan montre son vrai visage en attaquant Stepanakert, avec la complicité de l’Union européenne qui continue d’acheter le gaz azéri, finançant de fait les offensives de Bakou ». Je m’inscrisEt le parlementaire d’ajouter : « Ilham Aliyev (le président de l’Azerbaïdjan – NDLR) trouvait que le blocus de l’Artsakh n’était pas assez efficace pour chasser les Arméniens de leurs terres, il a décidé de lancer ses troupes à l’offensive. L’Europe, en passant un pacte avec lui, porte une très lourde responsabilité dans le déclenchement de cette offensive. Il est urgent que ce traité soit dénoncé et que l’Europe décrète un embargo sur la livraison d’armes à Bakou. » De son côté, l’Azerbaïdjan peut compter sur le soutien indéfectible de la Turquie dans ce combat contre les Arméniens. Ankara sait jouer des contradictions européennes dans le domaine de l’énergie.
Un cessez-le-feu non respecté et un « crime contre l’humanité »
Ce jeudi, des « pourparlers » ont commencé après la victoire militaire de Bakou. Au moment où ceux-ci s’ouvraient à Yevlakh, des tirs, dont l’origine n’était pas connue dans l’immédiat, ont été entendus à Stepanakert, la capitale de l’Artsakh, par un correspondant de l’AFP présent sur place. « Les forces armées azerbaïdjanaises ont utilisé différentes armes depuis les environs de Stepanakert, violant l’accord sur le cessez-le-feu » entrée en vigueur mercredi, ont accusé les responsables de l’enclave arménienne.
À Genève, l’Arménie a dans le même temps qualifié de « crime contre l’humanité »l’opération azerbaïdjanaise, assurant devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU qu’un « nettoyage ethnique » était « en cours ». Une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU doit avoir lieu ce jeudi après-midi.
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