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Irak : vingt ans après, ni Bush ni Blair n’ont été jugés

CHRONIQUE DE LA BATAILLE CULTURELLE. La Cour pénale internationale a émis à juste titre un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Pourquoi l’absence de poursuites contre les auteurs de la guerre contre l’Irak ne choque-t-elle pas en Occident ?


Par une cruelle ironie de l’histoire, vingt ans, presque jour pour jour, après l’agression anglo-américaine contre l’Irak, la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crime de guerre. L’évènement est historique puisque l’acte d’accusation vise un chef d’Etat qui plus est d’une grande puissance. Un acte d’accusation aussi légitime que fondé, mais qui jette une lumière crue sur une justice internationale à géométrie variable, à deux vitesses. Ainsi, ni George W. Bush ni Tony Blair n’ont été inquiétés et jugés devant un tribunal international, malgré leur responsabilité dans l’agression et les crimes de guerre commis en Irak. Le contraste est d’autant plus saisissant que le président Joe Biden estime que la décision de la CPI visant Poutine était « justifiée », alors même que les Etats-Unis refusent de ratifier le Statut de Rome et donc de reconnaître cette juridiction internationale…

Opération « Liberté pour l’Irak » : 500 000 morts

Opération « Liberté pour l’Irak ». Le 20 mars 2003, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et leurs alliés européens (l’Italie de Berlusconi, l’Espagne d’Aznar…) envahissaient l’Irak. Une invasion illégale et criminelle qui est restée impunie malgré la violation manifeste du droit international et un bilan macabre. Vingt après, le nom de l’opération sonne toujours aussi faux. La célébration légitime de la chute d’un tyran comme Saddam Hussein ne saurait faire oublier un bilan désastreux. L’invasion, puis l’occupation (entre 2003 et 2011) ont semé un chaos dantesque avec une surmortalité estimée de près de 500 000 personnes. Des vies brisées, anéanties. Une guerre contre un peuple (le régime de Saddam Hussein, lui, s’est effondré sur lui-même, en quelques jours), une faillite morale symbolisée par les images d’humiliation d’Abou Ghraib et la banalisation d’une torture institutionnalisée.


Le retrait des troupes américaines a laissé un Etat fragilisé et une société meurtrie, toujours en proie à l’insécurité. Une société dont la double fracture ethnique et confessionnelle a contaminé le système politique et institutionnel. Cette guerre officiellement justifiée par la « guerre globale contre le terrorisme » et l’exportation de la démocratie a fait naître un nouveau foyer du terrorisme international. Al-Qaida s’est implantée sur un territoire où elle était absente, tandis que la guerre est à l’origine d’une nouvelle créature : Daech.


Outre la violation du droit international par la première puissance mondiale, cette guerre a revêtu une dimension symbolique et idéologique particulièrement forte. Derrière l’argument fallacieux de la présence d’ « armes de destruction massive », cette expédition s’est nourrie du fantasme d’un « choc des civilisations ». Cette agression fut la résultante directe de représentations culturelles biaisées justifiées par des constructions intellectuelles fondées sur une contradiction ontologique : la démocratie par la force. La rhétorique manichéenne du « bien contre le mal » promue par les néoconservateurs se parait des atours de l’interventionnisme humanitaire et prétendait vouloir exporter la démocratie, comme s’il s’agissait d’un vulgaire produit de consommation courante…


Les « néoconservateurs made in France »

En France, alors que Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont su incarner un discours digne des principes et valeurs du droit international, la pensée des néoconservateurs avait trouvé des porte-voix parmi les clercs germanopratins. Au-delà de leur omniprésence médiatique à l’époque, la tribune de Pascal Bruckner, André Glucksmann et Romain Goupil (« le Monde », 14 avril 2003) restera dans les annales, tant certains passages sont particulièrement significatifs de leur aveuglement :

« Quelle joie de voir le peuple irakien en liesse fêter sa libération et… ses libérateurs ! […] Il faudra raconter un jour l’hystérie, l’intoxication collective qui ont frappé l’Hexagone depuis des mois, l’angoisse de l’Apocalypse qui a saisi nos meilleurs esprits [contre l’intervention américaine], l’ambiance quasi soviétique qui a soudé 90 % de la population dans le triomphe d’une pensée monolithique, allergique à la moindre contestation. »


On se souvient aussi qu’à l’époque, l’alignement de la presse américaine sur les éléments de langage de la Maison-Blanche a terni outre-Atlantique le mythe du contre-pouvoir journalistique. L’épisode a fait l’objet d’une forme de mea culpa de la part de certains grands journaux américains. Un travail d’introspection toujours d’actualité, auquel la presse et les médias français ne devraient pas échapper. Il y a quelques jours, sur LCI, le journaliste chevronné Darius Rochebin interrogea Turki ben Fayçal Al Saoud (ancien responsable de la diplomatie et des renseignements saoudiens) sur un ton faussement naïf :

« Est-ce que l’impérialisme d’une démocratie et l’impérialisme d’une dictature se valent ? »

La question a au moins deux mérites. D’une part, elle éclaire les raisons pour lesquelles nos élites politiques et médiatiques ne s’offusquent nullement de l’impunité des Bush, Blair et autre Netanyahou. D’autre part, elle explique le scepticisme voire le rejet du discours occidental sur la démocratie et l’universalisme des droits de l’homme. Le Sud global n’est plus prêt à prêter une quelconque attention à ce qui ressemble à un simple jeu de dupes… Au grand dam des authentiques humanistes et universalistes, d’ici et de là-bas.


 

(c) 2023, L'OBS

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