«L'Azerbaïdjan et la Turquie ont acheté des compagnies, des historiens, des députés européens pour
servir leur propagande»
L'Église apostolique arménienne fait partie des «Églises orthodoxes orientales». Au même titre que les syriaques, coptes et guèzes, elle reconnaît seulement trois conciles - quand l'Église catholique en compte 21 – mais se considère autant catholique qu'orthodoxe.
L'archevêque Khajag Barsamian dans son bureau au Vatican, le 5 janvier 2020.© Elisabeth Pierson / Le Figaro
LE FIGARO. - Pourquoi les Arméniens fêtent-ils Noël le 6 janvier ?
Khajag BARSAMIAN. - C'est la plus ancienne tradition de la chrétienté que de célébrer la nativité et le baptême du Christ le même jour. Si l'Église catholique a choisi de séparer les deux, nous avons choisi, en Arménie, de garder cette même date pour fêter les deux événements. Le 25 décembre, la plupart des Arméniens se rassemblent et échangent des cadeaux. Le 6 janvier est la célébration plus religieuse où les Arméniens, même les moins pratiquants, viennent à la messe.
Quel est votre rôle au Vatican ?
Avant 2018, il n'y avait pas de représentant de l'Église apostolique arménienne à Rome. Ayant gardé de proches relations avec le Vatican depuis mon passage à l'Institut pontifical oriental, j'ai donc demandé au catholicos (chef de l'Église arménienne, NDLR) d'ouvrir une représentation auprès du Saint-Siège. Il a écrit au pape François qui a répondu positivement.
Mon rôle, en lien notamment avec le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, est d'approfondir la relation entre nos deux Églises, qui est déjà forte. Deux papes ont déjà visité l'Arménie, Jean-Paul II en 2001, et le pape François en 2016.
En Artsakh, 120.000 Arméniens sont bloqués par des pseudo-activistes azéris . Que pensez-vous du relatif silence du pape François ?
Quelques jours avant Noël, le pape a fait une déclaration très claire lors de son Angélus. Il a demandé que le corridor de Lachine soit rouvert et s'est dit «préoccupé» par le sort des habitants de l'Artsakh. Le Conseil œcuménique des Églises et d'autres responsables ont fait de même, mais que peuvent-ils faire de plus ? Malheureusement, tout cela est très politique. En politique, ce sont les intérêts qui commandent. L'Union européenne a besoin de l'Azerbaïdjan, voilà le problème. À quoi servirait que le pape réitère son message ? Parfois, plusieurs petites déclarations n'ont pas tant de force qu'une seule.
Je pense que l'Arménie peut faire davantage de son côté, notamment en adoptant une meilleure stratégie diplomatique. Objectivement, l'Azerbaïdjan et la Turquie ont monté une diplomatie redoutable à l'heure actuelle. L'Azerbaïdjan achète tout le monde, journalistes, politiciens, y compris les historiens pour prouver que l'Artsakh lui a toujours appartenu. Ankara possède pour sa part un vaste réseau d'agents diplomatiques bien rodés, et possède aussi beaucoup d'argent. Avec l'argent, ils achètent des compagnies internationales, des politiciens, des députés européens pour leur propagande.
En novembre, Ursula von der Leyen déclarait que l'Azerbaïdjan était un partenaire «fiable et digne de confiance» ! Un partenaire de confiance, vraiment ? Aliev est l'opposé de la démocratie. Il utilise l'Artsakh pour cacher les failles de sa politique interne, qui est un régime d'oppression, sans liberté. Il est clair que la présidente de la Commission européenne a juste besoin de gaz !
En Arménie, que peut l'Église dans ce genre de crise ?
Sur le blocage du corridor, l'Église apostolique arménienne a fait son possible. Le catholicos a adressé un courrier aux leaders religieux, au pape, au patriarche œcuménique et à celui de Moscou. Les différents diocèses de la diaspora se mobilisent également. Nous apportons aussi un soutien aux personnes dans le besoin, matériel mais aussi spirituel. Depuis la guerre de 2020, de nombreuses familles ont perdu leur mari, leur fils ou leur père, et ont besoin d'un soutien.
Le Primat en Artsakh est très actif, très engagé. Nous échangeons régulièrement.. Il était en Italie il y a quelques mois et a donné des interviews aux médias italiens pour appeler à aider les habitants du Nagorny-Karabagh. Il était inquiet. Tout le monde s'inquiète de la situation, évidemment, depuis le cessez-le-feu de 2020 qui n'a jamais établi clairement les choses.
Que faut-il faire selon vous ?
Selon moi, si vous voulez résoudre un problème, il faut parler face à face, les yeux dans les yeux, et négocier. Je sais que c'est difficile, mais prendre les armes ne tuera que plus de gens encore. La vie est un cadeau de Dieu. Que vous soyez Arménien, Turc, Azerbaïdjanais ou Français, vous êtes la création de Dieu !
Un dialogue avec l'Azerbaïdjan ?
Rien n'est impossible si vous croyez en quelque chose. Nous, nous croyons que nous sommes créés à l'image de Dieu, qu'Il nous donne une force. Nous croyons aux miracles, et ce sont les humains eux-mêmes qui font les miracles. Si nous suivons l'exemple du Christ en tant que chrétiens, nous voyons que dans la Bible, les Pharisiens mal intentionnés interrogent Jésus, et qu'il leur répond sans discrimination ! Je sais que ce n'est pas facile. Les gens peuvent être de mauvaise foi, mais avec l'amour, les choses deviennent possibles.
Noël peut ainsi apporter l'espoir. N'oublions jamais qui est le Christ et ce qu'il peut nous apporter. À Noël, les anges ont annoncé la paix pour «les hommes de bonne volonté». Et Jésus est la source de la bonne volonté.
Craignez-vous pour l'avenir de l'Église Arménienne ?
Notre Église est face à un défi de vocations. Lors du génocide arménien, 4000 membres du clergé ont été massacrés. C'étaient les meilleurs, les grands intellectuels et les plus fervents. Par la suite, sous le contrôle de l'URSS, des milliers d'autres ont été assassinés. À Etchmiadzine, les Soviétiques ont même tué notre catholicos Khoren Ier. Tout cela fait qu'aujourd'hui, il nous reste 1000 prêtres maximum. C'est largement insuffisant pour répondre aux besoins spirituels des Arméniens, en Arménie et dans la diaspora.
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