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Elisabeth Pierson

Soudan : ce qu'il faut savoir sur la guérilla urbaine qui plonge le pays dans le chaos


Le lieutenant général Mohammed Hamdan Dagalo, chef des Forces paramilitaires de soutien rapide (RSF). UMIT BEKTAS / REUTERS



FOCUS - À Khartoum, la capitale du pays, de violents combats entre paramilitaires et armée régulière ont déjà fait près de 200 morts depuis samedi. La communauté internationale réclame l'arrêt des combats.


Les affrontements qui secouent le Soudan depuis samedi atteignent un niveau inédit depuis l'indépendance. Voilà quatre jours que le ciel de Khartoum, la capitale, est strié par le passage d'avions de l'armée, auxquels répondent par des tirs intensifs les blindés des paramilitaires. Les habitants ont barricadé leurs maisons, otages des combats. Plus de 185 civils sont morts, et au moins 1800 autres ont été blessés.


L'origine du conflit vient de l'opposition entre deux généraux rivaux, aux commandes du pays depuis le putsch de 2021. Le général Abdel Fattah al-Burhan, chef des armées et président du Conseil de souveraineté d'un côté, et son vice-président, Mohammed Hamdan Dagalo, dit «Hemedti», chef de la puissante milice des Forces de soutien rapide (FSR) de l'autre, sont désormais les pires ennemis. Comment le Soudan a-t-il à nouveau sombré dans le chaos ?


Opposition entre deux généraux

Les généraux qui s'opposent sont tous deux proches de l'ancien dictateur Omar el-Béchir. Cet ex-président, resté trente ans au pouvoir, est âgé de 75 ans lorsqu'il est renversé par un coup d'État en 2019, à l'issue de violentes manifestations provoquées par une hausse du prix du pain. Des scènes d'effervescence suivent la destitution de l'homme d'État, visé depuis 2009 par deux mandats d'arrêt internationaux de la CPI (il est accusé de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour, province de l'ouest du Soudan en proie à une guerre civile).


Un vent de liberté souffle à l'époque sur le pays, mais la transition tant espérée vers la démocratie n'a pas lieu. En octobre 2021, l'ancien chef de l'armée de Terre, le général Abdel Fattah al-Bourhane, limoge les civils qui partageaient le pouvoir avec lui selon l'accord de transition. Il instaure l'État d'urgence, et réprime les manifestants qui réclament la démocratie.


À ses côtés, un général ami et allié, Hamdane Daglo, dit «Hemedti», devient le numéro deux du pays. Ce dernier commande depuis 2013 les Forces de soutien rapide (FSR), groupe paramilitaire créé à partir des milices Janjawid qui sévissent au Darfour pour mater les rébellions. Les FSR sont rapidement devenues l'un des groupes armés les plus puissants du pays. Fortes d'interventions au Yémen et en Libye, elles contrôlent aujourd'hui certaines mines d'or du Soudan, et rivalisent avec l'armée soudanaise.


L'aide internationale, un temps débloquée, est à nouveau gelée depuis ce putsch. Pour se financer, les autorités augmentent drastiquement les taxes. La monnaie soudanaise chute, le prix du pain, de l'électricité et de l'essence bondissent de 250%. Face à l'isolement international, les militaires sont contraints d'ouvrir des négociations avec des représentants de la coalition civile des Forces de la liberté et du changement (FLC), sous l'égide des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Un accord signé en décembre 2022 prévoit la formation d'un gouvernement civil, le retour des militaires dans leurs casernes et l'intégration des FSR au sein de l'armée.


Ce dernier point, entre autres désaccords, cristallise particulièrement les tensions entre les généraux Abdel Fattah al-Burhan et Mohammed Hamdan Dagalo. Au point que depuis plusieurs semaines, les chancelleries occidentales basées à Khartoum s'inquiétaient de probables affrontements.


Près de 200 morts, les ONG à l'arrêt

Les combats ont fini par éclater samedi. En quatre jours, les bombardements incessants ont fait plus de 185 morts selon le décompte de l'ONU. Trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour, poussant plusieurs ONG et agences de l'ONU à suspendre leurs activités. La France a exprimé sa «vive inquiétude», et exhorté ses ressortissants à la plus grande prudence.


Lundi soir, l'Union européenne a annoncé que son ambassadeur avait été «agressé dans sa résidence» à Khartoum où les combats de rue et les bombardements sont incessants et n'épargnent aucun secteur.

Le secrétaire d'État américain a également fait savoir qu'un convoi diplomatique américain a essuyé lundi des tirs, sans faire de blessés. «Tous nos personnels sont sains et saufs» mais cet acte est «irresponsable», a-t-il ajouté, précisant que «selon des informations initiales dont nous disposons, cela est le fait de forces associées avec les FSR».


Situation confuse

La situation à la capitale reste confuse ce mardi. Il demeure impossible ce mardi 18 avril d'établir les zones contrôlées par les uns ou les autres. Les FSR ont annoncé samedi avoir pris l'aéroport et être entrés dans le palais présidentiel, ce que l'armée a démenti. Cette dernière assure pour sa part contrôler le QG de son état-major, l'un des principaux centres du pouvoir à Khartoum.


Quant à la télévision d'État, les deux parties en revendiquent le contrôle. Tandis que des combats font rage autour des locaux, la chaîne se contente de diffuser en boucle des chants patriotiques. «Hemedti» enchaîne depuis samedi les interviews sur différentes chaînes de télévision du Golfe, qualifiant son rival de «criminel».


Blinken réclame un cessez-le-feu

Face au regain de violences, au niveau inédit depuis 1956, le Conseil de Sécurité de l'ONU s'est réuni à huis clos lundi. Le secrétaire général Antonio Guterres a appelé de son côté les deux généraux rivaux à «cesser immédiatement les hostilités» et «restaurer le calme et commencer un dialogue pour résoudre la crise». «La situation humanitaire au Soudan était déjà précaire, elle est maintenant catastrophique», a-t-il ajouté.


Mardi, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a annoncé s'être entretenu séparément avec les deux généraux rivaux. Il a insisté auprès d'eux «sur l'urgence d'aboutir à un cessez-le-feu», qui «permettrait de fournir l'aide humanitaire aux personnes affectées par les combats, de réunir des familles soudanaises et d'assurer la sécurité des membres de la communauté internationale à Khartoum».


Dans leur communiqué commun à l'issue de leur réunion au Japon, les chefs de la diplomatie des pays membres du G7 ont appelé de leur côté mardi à l'arrêt «immédiat» des combats au Soudan, qu'ils ont condamné «avec force».


 

(c) 2023, LE Figaro

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